Exécution en France d'une décision de justice obtenue en Afrique : comment faire exécuter chez soi ce qui a été obtenu ailleurs ?
Par le cabinet Bayān, intervenant en Développement sur le continent africain & Contentieux.
Obtenir gain de cause devant une juridiction africaine ne garantit pas l'encaissement lorsque les actifs du débiteur se trouvent en France. L'exécution transfrontalière nécessite une stratégie adaptée combinant exequatur, identification d'actifs en France et coordination avec les procédures locales. Les entreprises qui maîtrisent cette dimension récupèrent des créances que d'autres considèrent comme perdues.
I. Cartographie préalable : identifier les actifs français
Comptes bancaires et établissements financiers
L'identification des avoirs bancaires en France constitue la priorité. Les débiteurs africains disposant d'actifs significatifs maintiennent souvent des comptes dans des établissements français, soit directement, soit via des structures intermédiaires.
Plusieurs indices permettent de repérer ces comptes. Les virements antérieurs reçus du débiteur révèlent les banques émettrices. Les relations commerciales avec des entreprises françaises nécessitent généralement des comptes locaux. Les factures, devis ou correspondances peuvent mentionner des IBAN français. Les sites internet et documents commerciaux indiquent parfois les coordonnées bancaires.
L'huissier français peut, une fois muni du titre exécutoire, interroger le fichier FICOBA (Fichier des Comptes Bancaires) géré par la DGFiP. Ce fichier recense l'ensemble des comptes ouverts en France. Cette recherche, réservée aux professionnels de l'exécution, constitue un outil décisif pour localiser les avoirs.
Biens immobiliers et sociétés
Les investissements immobiliers en France offrent des cibles d'exécution durables. Le débiteur ou ses structures peuvent détenir des appartements, bureaux ou locaux commerciaux. La consultation des services de publicité foncière permet d'identifier ces biens par le nom du propriétaire.
Les participations dans des sociétés françaises constituent également des actifs saisissables. Le débiteur peut détenir des parts ou actions de sociétés opérant en France. L'extrait Kbis révèle les actionnaires et dirigeants. Les registres de commerce permettent de retracer les liens capitalistiques.
Les véhicules immatriculés en France, bien que d'une valeur généralement modeste, peuvent être identifiés via les fichiers des cartes grises. Pour les débiteurs disposant de flottes ou de véhicules de luxe, cette piste mérite d'être explorée.
Créances détenues sur des débiteurs français
Le débiteur peut détenir des créances sur des entreprises françaises : factures clients impayées, contrats en cours d'exécution, dépôts de garantie. L'identification de ces créances passe par l'analyse des relations commerciales du débiteur.
Les grands comptes français travaillant avec le débiteur constituent des cibles privilégiées. Leur solvabilité et leur souci de respecter les décisions de justice facilitent le recouvrement. La saisie de ces créances exerce également une pression commerciale sur le débiteur qui voit ses relations avec ses clients français compromises.
II. Obtenir l'exequatur : rendre le titre exécutoire en France
Régime applicable selon l'origine de la décision
Le régime d'exequatur varie selon que la décision émane d'un État membre de l'Union européenne, d'un pays ayant signé une convention bilatérale avec la France, ou d'un État tiers sans convention.
Décisions des États de l'Union européenne Pour les rares États africains ayant des liens avec l'UE (territoires d'outre-mer), le règlement Bruxelles I bis s'applique, offrant une procédure simplifiée. Les décisions circulent librement et bénéficient d'une reconnaissance quasi-automatique.
Décisions des États parties à des conventions Plusieurs conventions facilitent l'exequatur. La Convention de La Haye du 2 juillet 2019 sur la reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers, bien que récente et peu ratifiée, vise à simplifier ces procédures. Certains accords bilatéraux entre la France et des États africains prévoient des modalités spécifiques d'entraide judiciaire.
Décisions OHADA et sentences CCJA Les décisions rendues dans l'espace OHADA (17 États d'Afrique francophone et lusophone) bénéficient d'un régime particulier. Les sentences arbitrales de la CCJA (Cour Commune de Justice et d'Arbitrage) sont directement exécutoires dans tous les États membres sans exequatur. Pour leur exécution en France, État non-membre, elles suivent le régime des sentences arbitrales internationales, généralement plus favorable que celui des jugements étatiques.
Décisions d'États tiers sans convention En l'absence de convention, le droit commun français s'applique. L'exequatur est accordé si la décision remplit certaines conditions : compétence indirecte du juge étranger, régularité de la procédure, conformité à l'ordre public international français, absence de fraude.
Procédure devant le tribunal judiciaire
La demande d'exequatur est présentée devant le tribunal judiciaire du lieu d'exécution envisagé ou du domicile du débiteur en France. La procédure, contradictoire, nécessite la constitution d'un avocat.
Le dossier doit comporter plusieurs pièces essentielles. La décision étrangère en original ou copie certifiée conforme. La traduction de cette décision par un traducteur assermenté si elle n'est pas en français. La preuve que la décision est définitive et exécutoire dans l'État d'origine. Un certificat délivré par la juridiction d'origine attestant du caractère définitif. La preuve de la signification de la décision au débiteur dans l'État d'origine.
Le juge français vérifie plusieurs conditions sans réexaminer le fond du litige. La compétence indirecte du juge étranger : avait-il un lien suffisant avec le litige ? La régularité de la procédure : le débiteur a-t-il été régulièrement cité et mis en mesure de se défendre ? La conformité à l'ordre public international français : la décision ne heurte-t-elle pas les principes fondamentaux du droit français ? L'absence de fraude à la loi : la saisine du juge étranger n'avait-elle pas pour seul but de contourner une règle française impérative ?
Délais et stratégies procédurales
La procédure d'exequatur prend généralement de 6 à 18 mois selon la complexité du dossier et l'encombrement du tribunal. Ce délai peut être réduit en cas d'urgence caractérisée justifiant des mesures conservatoires parallèles.
Le débiteur peut s'opposer à l'exequatur en invoquant l'une des conditions non remplie. Cette opposition, suspensive, allonge les délais. L'anticipation de ces arguments dans la demande initiale renforce la position du créancier.
L'appel de la décision d'exequatur reste possible. Il est porté devant la cour d'appel compétente. Ce recours, également suspensif, peut ajouter 12 à 24 mois au processus. La qualité du dossier initial et l'anticipation des moyens de défense limitent les chances de succès de l'appel.
III. Mesures conservatoires : sécuriser avant l'exequatur
Saisies conservatoires de droit commun
Avant même l'obtention de l'exequatur, le créancier peut solliciter des mesures conservatoires s'il justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. Le juge de l'exécution français, saisi en référé, peut autoriser une saisie conservatoire sur les biens du débiteur situés en France.
Cette procédure nécessite de démontrer deux éléments. L'existence d'une créance paraissant fondée en son principe. La décision africaine, même non encore revêtue de l'exequatur, constitue un élément probant. Le risque pour le recouvrement : dissimulation d'actifs, transferts suspects, insolvabilité croissante, comportement révélant une volonté d'échapper à ses obligations.
Les actifs pouvant faire l'objet de saisies conservatoires incluent les comptes bancaires (saisie conservatoire sur compte), les biens meubles corporels (saisie conservatoire de meubles), les créances (saisie conservatoire des créances), les parts sociales et valeurs mobilières. Ces mesures, rapides, protègent les actifs pendant la procédure d'exequatur.
Référé provision sur le fondement du titre étranger
Dans certaines circonstances, le créancier peut obtenir une condamnation provisionnelle du débiteur sur le fondement de la décision étrangère, sans attendre l'exequatur définitif. Le juge des référés peut accorder une provision si l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Cette voie, audacieuse, nécessite que la décision étrangère soit particulièrement solide et que les conditions d'exequatur paraissent manifestement remplies. Elle offre l'avantage d'obtenir rapidement un titre exécutoire français permettant des mesures d'exécution forcée.
Coordination avec les procédures africaines
Les mesures conservatoires en France doivent être coordonnées avec les procédures d'exécution dans l'État africain d'origine. Une exécution simultanée sur plusieurs territoires maximise les chances de recouvrement et exerce une pression maximale sur le débiteur.
Cette coordination nécessite une communication étroite entre les conseils français et africains. Les calendriers doivent être synchronisés pour éviter que le débiteur n'anticipe et n'organise la dissipation de ses actifs. Les stratégies doivent être cohérentes pour ne pas créer de contradictions exploitables par le débiteur.
IV. Exécution forcée : transformer l'exequatur en cash
Saisie-attribution sur comptes bancaires
Une fois l'exequatur obtenu, la saisie-attribution sur comptes bancaires offre le moyen le plus rapide d'encaissement. L'huissier français, muni du jugement d'exequatur revêtu de la formule exécutoire, procède à la saisie auprès des établissements identifiés.
La procédure suit le droit français des voies d'exécution. L'acte de saisie est délivré à la banque qui doit déclarer les sommes disponibles dans un délai de 8 jours. Le débiteur est informé simultanément. En l'absence de contestation dans le délai d'un mois, les sommes sont versées au créancier.
Les contestations possibles du débiteur incluent la remise en cause de l'exequatur (si elle n'a pas été définitivement tranchée), la contestation de l'étendue de la créance, l'invocation de causes d'extinction de la dette survenues depuis la décision africaine. Ces contestations, portées devant le juge de l'exécution, peuvent suspendre temporairement le versement.
Saisie-vente et saisie immobilière
Les biens meubles corporels peuvent faire l'objet d'une saisie-vente. L'huissier procède à l'inventaire, les biens sont mis en vente aux enchères publiques. Cette procédure, plus lourde et coûteuse, se justifie lorsque les actifs mobiliers sont significatifs.
La saisie immobilière suit la procédure française classique : commandement de payer valant saisie, publication au service de publicité foncière, assignation en orientation, puis vente aux enchères. Les délais, de 18 à 36 mois, sont longs mais la mesure exerce une pression considérable sur le débiteur.
Saisie des créances et des parts sociales
Les créances détenues par le débiteur sur des tiers français peuvent être saisies. La procédure de saisie-attribution des créances permet d'appréhender directement ces sommes auprès des débiteurs du débiteur.
Les parts sociales et actions détenues dans des sociétés françaises peuvent également être saisies. Cette saisie, qui nécessite des formalités spécifiques (notification à la société, inscription sur les registres), permet soit la vente des titres, soit l'appréhension des dividendes futurs.
V. Difficultés spécifiques et solutions
Immunité d'exécution des États et entités publiques
Lorsque le débiteur est un État africain ou une entité publique, l'exécution en France se heurte au principe d'immunité d'exécution. Les biens affectés à une mission de service public sont insaisissables.
Seuls les biens commerciaux peuvent être saisis : comptes bancaires utilisés pour des activités commerciales, biens immobiliers à usage commercial, participations dans des sociétés commerciales. La preuve de l'affectation commerciale incombe au créancier et nécessite souvent une instruction approfondie.
Certaines conventions internationales prévoient des dérogations à l'immunité. La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États de 2004, bien que peu ratifiée, établit des principes limitant l'immunité pour les transactions commerciales.
Prescription et causes d'extinction
Le débiteur peut invoquer la prescription de la créance selon le droit français. Bien que la décision africaine ait été rendue, le délai de prescription pour son exécution en France court selon les règles françaises.
Les causes d'extinction survenues depuis la décision africaine peuvent également être opposées : paiement effectué entre-temps, compensation, novation, remise de dette. Le créancier doit être en mesure de démontrer que ces allégations sont infondées ou que la créance subsiste malgré ces événements.
Insolvabilité et procédures collectives
Si le débiteur fait l'objet d'une procédure collective en France (sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire), l'exécution individuelle devient impossible. Le créancier doit déclarer sa créance entre les mains du mandataire judiciaire.
La décision africaine munie de l'exequatur constitue un titre permettant la déclaration de créance. Le créancier entre alors dans la masse des créanciers et participe aux répartitions selon le rang de sa créance (chirographaire ou privilégiée selon les sûretés éventuelles).
VI. Alternatives et voies complémentaires
Reconnaissance sans exequatur pour certains actes
Certains effets de la décision africaine peuvent être reconnus en France sans exequatur formel. L'autorité de chose jugée, empêchant de rejuger la même affaire, est reconnue sans formalité particulière. Les effets déclaratifs de la décision (reconnaissance d'un droit, d'un statut) peuvent également être invoqués directement.
Cette reconnaissance facilite certaines démarches sans nécessiter la procédure d'exequatur complète. Elle peut suffire pour des besoins probatoires ou pour des actes ne nécessitant pas d'exécution forcée.
Transaction post-décision
L'obtention d'une décision africaine et l'engagement d'une procédure d'exequatur en France créent souvent les conditions d'une transaction. Le débiteur, conscient de la menace sur ses actifs français, devient plus enclin à négocier.
Cette transaction, conclue sous la pression de l'exequatur en cours, doit être soigneusement structurée pour éviter qu'elle ne soit remise en cause ultérieurement. Les principes développés dans les transactions contentieuses s'appliquent : concessions réciproques identifiables, exécution surveillée, clauses de repli.
Arbitrage international comme alternative
Pour les créances futures ou les relations commerciales continues, le recours à l'arbitrage international plutôt qu'aux juridictions étatiques facilite l'exécution transfrontalière. Les sentences arbitrales bénéficient de la Convention de New York de 1958, ratifiée par plus de 160 États, qui simplifie considérablement leur reconnaissance et exécution.
L'arbitrage CCJA pour les États OHADA offre l'avantage d'une exécution directe dans 17 États africains. Pour l'exécution en France, la sentence CCJA suit le régime des sentences arbitrales internationales, généralement plus rapide que l'exequatur de jugements étatiques.
Conclusion
L'exécution en France d'une décision africaine transforme un titre théorique en encaissement réel. Les facteurs de succès : cartographie préalable des actifs français du débiteur, procédure d'exequatur rigoureuse avec dossier complet, mesures conservatoires rapides pour sécuriser les actifs pendant la procédure, exécution forcée méthodique dès l'exequatur obtenu, coordination avec les procédures africaines pour maximiser la pression.
Les entreprises qui investissent dans cette stratégie transfrontalière récupèrent des créances significatives. L'expertise combinée du droit africain et français, la capacité à identifier les actifs et la rapidité d'exécution font la différence entre une décision sans valeur et un recouvrement effectif.
Pour exécuter en France une décision africaine ou sécuriser vos créances transfrontalières, n'hésitez pas à contacter le cabinet Bayān.