La gestion des contentieux en Afrique : enjeux et stratégies pour les entreprises françaises et internationales.

Par le cabinet Bayān, intervenant en Défense pénale & Contentieux des affaires.

Dans un contexte de développement économique accéléré et d'attractivité croissante des marchés africains, les relations commerciales entre entreprises françaises/étrangères et partenaires africains se multiplient. Ces partenariats, s'ils offrent d'importantes opportunités, s'accompagnent également de risques juridiques spécifiques. La gestion des contentieux en Afrique présente des particularités qu'il convient de maîtriser pour sécuriser ses investissements et relations d'affaires sur le continent.

I. Le paysage juridique africain : entre diversité et complexité

Une mosaïque de systèmes juridiques

L'Afrique présente une diversité juridique remarquable, héritage de son histoire coloniale et de ses évolutions post-indépendance. On y trouve principalement :

  • Des systèmes de common law (Ghana, Nigeria, Kenya...)

  • Des systèmes de droit civil inspirés du modèle français (Sénégal, Côte d'Ivoire, Cameroun...)

  • Des systèmes mixtes combinant différentes traditions juridiques

  • Des juridictions où le droit coutumier et/ou le droit musulman jouent un rôle significatif

Cette diversité constitue un premier défi pour les entreprises étrangères, qui doivent s'adapter à des environnements juridiques parfois très différents de ceux auxquels elles sont habituées.

Les défis des juridictions nationales

Le recours aux tribunaux locaux en Afrique présente plusieurs défis :

  • Lenteur des procédures : dans de nombreux pays africains, l'engorgement des tribunaux entraîne des délais de procédure considérables

  • Questions d'indépendance : la perception d'une possible influence politique sur certaines juridictions peut susciter des inquiétudes

  • Manque de spécialisation : certains contentieux commerciaux complexes nécessitent une expertise technique que les tribunaux locaux ne possèdent pas toujours

  • Difficultés d'exécution : l'exécution des décisions de justice peut s'avérer problématique dans certains contextes

Ces difficultés expliquent pourquoi de nombreux investisseurs étrangers cherchent des alternatives aux juridictions nationales pour la résolution de leurs litiges.

II. L'arbitrage international : une solution privilégiée mais à nuancer

Les avantages de l'arbitrage international en contexte africain

L'arbitrage international s'est imposé comme le mode de résolution des litiges privilégié par les entreprises françaises étrangères opérant en Afrique, et ce pour plusieurs raisons :

  • Neutralité : l'arbitrage permet d'éviter les juridictions nationales potentiellement défavorables à la partie étrangère

  • Expertise : les arbitres peuvent être choisis pour leur connaissance du secteur concerné

  • Confidentialité : contrairement aux procédures judiciaires rendues publiques, l'arbitrage préserve la confidentialité des informations sensibles

  • Exécution facilitée : la Convention de New York de 1958, ratifiée par la plupart des États africains, facilite la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères

  • Flexibilité procédurale : les parties peuvent adapter la procédure à leurs besoins spécifiques

Les limites et risques de l'arbitrage en Afrique

Toutefois, l'arbitrage n'est pas une panacée et présente certaines limites :

  • Coûts élevés : les frais d'arbitrage (honoraires des arbitres, frais administratifs, représentation juridique) peuvent être prohibitifs, particulièrement pour les PME

  • Perception d'un biais pro-occidental : certains États africains perçoivent l'arbitrage international comme favorisant les intérêts des investisseurs étrangers au détriment des intérêts locaux

  • Résistance à l'exécution : malgré la Convention de New York, l'exécution des sentences arbitrales peut rencontrer des obstacles pratiques dans certains pays

  • Inadaptation aux petits litiges : pour les différends de faible valeur, l'arbitrage peut s'avérer disproportionné en termes de coûts

Le développement de l'arbitrage régional africain

Face à ces limites, on assiste à l'émergence et au renforcement de centres d'arbitrage régionaux en Afrique :

  • La Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA) de l'OHADA

  • Le Centre d'Arbitrage International du Caire (CRCICA)

  • Le Centre d'Arbitrage de Kigali (CAK)

  • Le Centre d'Arbitrage et de Médiation de la CEDEAO

Ces institutions offrent des alternatives intéressantes aux centres d'arbitrage traditionnels (CCI, LCIA, etc.), avec des procédures souvent moins coûteuses et une meilleure connaissance des réalités économiques et juridiques africaines.

III. La médiation : une solution d'avenir pour l'Afrique

Les atouts de la médiation dans le contexte africain

La médiation présente des avantages particulièrement adaptés au contexte africain :

  • Concordance avec les traditions africaines : la médiation fait écho aux méthodes traditionnelles de résolution des conflits en Afrique, fondées sur le dialogue et la recherche du consensus

  • Rapidité et coût réduit : comparée à l'arbitrage et aux procédures judiciaires, la médiation est généralement plus rapide et moins onéreuse

  • Préservation des relations d'affaires : en favorisant une solution mutuellement acceptable, la médiation permet de préserver les relations commerciales à long terme

  • Flexibilité des solutions : la médiation permet d'aboutir à des solutions créatives qui dépassent le cadre strict du droit applicable

Le cadre juridique de la médiation en Afrique

Plusieurs initiatives renforcent le cadre juridique de la médiation en Afrique :

  • L'Acte uniforme OHADA relatif à la médiation, adopté en 2017, qui harmonise les règles de médiation dans les 17 États membres

  • La Convention de Singapour sur la médiation (2019), qui facilite l'exécution internationale des accords issus de médiation commerciale

  • Le développement de centres de médiation adossés aux centres d'arbitrage régionaux

Quand privilégier la médiation ?

La médiation peut être particulièrement indiquée dans les situations suivantes :

  • Litiges impliquant des partenaires commerciaux de long terme

  • Différends où les aspects culturels et relationnels sont importants

  • Conflits nécessitant des solutions pragmatiques et créatives

  • Situations où la rapidité de résolution est essentielle

  • Cas où la confidentialité est primordiale

IV. Stratégies pratiques pour la gestion des contentieux en Afrique

La rédaction des clauses de règlement des différends

Une attention particulière doit être portée à la rédaction des clauses de règlement des différends dans les contrats :

  • Clauses échelonnées : prévoir une approche progressive (négociation, médiation, puis arbitrage ou juridiction)

  • Choix du siège de l'arbitrage : privilégier des juridictions favorables à l'arbitrage et signataires de la Convention de New York

  • Choix de l'institution arbitrale : évaluer les avantages comparatifs des institutions internationales vs. régionales

  • Précision sur le droit applicable : distinguer clairement le droit applicable au fond du litige et à la procédure

  • Nombre et qualification des arbitres : adapter ces éléments à la complexité et à l'enjeu du litige

La prévention des litiges

La meilleure stratégie reste la prévention :

  • Due diligence approfondie sur les partenaires et le cadre juridique local

  • Implication d'experts locaux dès la phase de négociation contractuelle

  • Mécanismes contractuels d'adaptation permettant de faire évoluer le contrat en fonction des circonstances

  • Communication régulière avec les partenaires pour détecter et résoudre les problèmes avant qu'ils ne dégénèrent en litiges

L'importance d'une stratégie contentieuse adaptée aux spécificités locales

Chaque pays africain présente des particularités qu'il convient d'intégrer dans sa stratégie contentieuse :

  • Environnement politique et économique du pays concerné

  • Pratiques administratives locales pouvant impacter l'exécution des décisions

  • Relations diplomatiques entre le pays d'origine de l'investisseur et le pays hôte

  • Perception locale de l'investissement étranger

Conclusion

La gestion des contentieux en Afrique requiert une approche nuancée et stratégique. Si l'arbitrage international reste un outil incontournable pour sécuriser les investissements, la médiation s'impose progressivement comme une alternative crédible et particulièrement adaptée au contexte africain.

Les entreprises opérant en Afrique gagneront à développer une stratégie de résolution des différends diversifiée, combinant prévention et mécanismes adaptés de règlement des litiges. Cette approche doit tenir compte des spécificités juridiques, culturelles et économiques de chaque pays, ainsi que de la nature des relations d'affaires en jeu.

L'avenir de la résolution des litiges en Afrique semble s'orienter vers un modèle hybride, où coexistent et se complètent institutions régionales et internationales, méthodes traditionnelles et innovantes, dans une recherche d'efficacité et d'équilibre entre protection des investissements et respect des intérêts locaux.

Pour une analyse personnalisée de votre situation ou pour structurer votre stratégie face à un litige potentiel ou avéré, n'hésitez pas à contacter le cabinet Bayān.

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