L’obligation de non-concurrence du dirigeant : une loyauté sans compromis.

Par le cabinet Bayān, intervenant en Défense pénale & Contentieux des affaires.


Même au cœur d'un conflit entre associés, le dirigeant reste lié par son obligation de loyauté. Analyse d'une jurisprudence constante qui ne tolère aucune exception, même dans la tempête.

L’essence du devoir de loyauté

Le mandat social confère au dirigeant des pouvoirs étendus, mais cette confiance s'accompagne d'une contrepartie exigeante : une loyauté absolue envers la société. Cette obligation, inhérente à ses fonctions, transcende toute stipulation contractuelle. Elle s'impose naturellement, comme la pierre angulaire de la relation fiduciaire entre le dirigeant et l'entité qu'il représente.

La jurisprudence, avec une constance remarquable, rappelle que cette loyauté implique notamment l'interdiction de concurrencer la société. Le dirigeant ne peut, sans trahir ses obligations, développer une activité similaire ou connexe, que ce soit directement ou par l'intermédiaire d'une structure tierce.

"Le gérant d'une société à responsabilité limitée est tenu à une obligation de loyauté et de fidélité à l'égard de cette société" - Cass. com., 6 mai 2008

Conflits entre associés : une circonstance aggravante, non exonératoire

La singularité de cette obligation réside dans sa résistance aux turbulences de la vie sociale. Contrairement à une idée reçue, l'existence d'un conflit entre associés ne constitue jamais une circonstance atténuante, mais plutôt un contexte où la vigilance des tribunaux se fait plus aiguë.

Dans un arrêt fondateur du 15 novembre 2011, la Cour de cassation a posé un principe sans équivoque : "l'existence de conflits entre associés ne dispense pas le gérant de son obligation de loyauté". Cette position jurisprudentielle, réaffirmée à de multiples reprises, trace une ligne rouge infranchissable.

Le message est limpide : même lorsque le navire tangue, le capitaine ne peut abandonner sa boussole éthique.

Une conception extensive des actes de déloyauté

La jurisprudence retient une approche particulièrement large des comportements constitutifs de manquement à l'obligation de non-concurrence. Sont ainsi prohibés :

La création d'une structure concurrente pendant l'exercice du mandat • Les simples actes préparatoires visant à développer une activité parallèle • Le détournement de clientèle ou de fournisseurs • L'exploitation d'informations confidentielles à des fins personnelles • Le débauchage de collaborateurs clés

Ce qui déroute souvent les dirigeants, c'est la sanction des actes préparatoires. Un arrêt du 21 janvier 2014 a ainsi condamné un gérant qui avait simplement jeté les bases d'une future activité, sans même l'avoir effectivement lancée. La Cour a considéré que ces préparatifs constituaient déjà une violation caractérisée de son obligation de loyauté.

Des sanctions à la mesure de la trahison

Le dirigeant qui s'affranchit de son obligation s'expose à un arsenal de sanctions particulièrement dissuasives :

Révocation pour juste motif, le privant de toute indemnité • Responsabilité civile engagée, avec des dommages-intérêts souvent considérables • Nullité des actes conclus dans le cadre de l'activité concurrente • Sanctions pénales dans les cas les plus graves

L'intransigeance des tribunaux se manifeste notamment dans l'évaluation du préjudice. Un arrêt du 7 juin 2016 a ainsi confirmé la condamnation d'un dirigeant à verser plus de 500.000 euros à la société qu'il avait concurrencée, démontrant la volonté judiciaire de réparer intégralement le dommage causé par ces comportements déloyaux.

Stratégies préventives : anticiper afin de ne pas subir

Face à cette jurisprudence rigoureuse, la prévention demeure la meilleure protection.

Pour la société et ses associés :

• Insérer des clauses de non-concurrence explicites dans les statuts • Prévoir des mécanismes de résolution des conflits dans un pacte d'associés • Organiser la gouvernance pour éviter les situations de blocage

Pour le dirigeant :

• Négocier en amont les conditions d'une éventuelle reconversion • Obtenir l'accord formel des organes sociaux avant tout développement d'activité parallèle • En cas de conflit, privilégier les voies légales de sortie plutôt que la concurrence déloyale

Une jurisprudence implacable

Si certaines nuances jurisprudentielles ont pu apparaître concernant l'étendue temporelle ou géographique de l'obligation, le principe même de la loyauté du dirigeant reste d'une constance remarquable.

L'arrêt du 15 novembre 2011 a posé un jalon essentiel en affirmant que même les conflits graves entre associés ne constituent pas une circonstance exonératoire. Cette décision a été suivie de nombreuses autres, formant un corpus jurisprudentiel cohérent et exigeant.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 février 2019, a encore renforcé cette position en précisant que "l'obligation de loyauté du dirigeant social subsiste indépendamment des difficultés rencontrées dans l'exercice de ses fonctions".

Conclusion : une exigence cardinale

L'obligation de non-concurrence du dirigeant constitue un pilier fondamental du droit des sociétés que les turbulences internes ne sauraient ébranler. Même au cœur de la tempête, lorsque les relations entre associés se dégradent, le dirigeant reste tenu d'agir avec une loyauté sans faille.

Cette exigence, loin d'être une simple considération morale, représente une norme juridique contraignante dont la violation expose à des sanctions significatives. Dans un environnement économique où la valeur des entreprises repose de plus en plus sur des actifs immatériels (clientèle, savoir-faire, réputation), la protection contre les comportements déloyaux devient un enjeu stratégique majeur.

Face à cette réalité juridique, l'anticipation et la formalisation des relations entre dirigeants et associés apparaissent comme les meilleures garanties d'une gouvernance sereine, même en période de crise.

Pour une analyse personnalisée de votre situation ou pour structurer votre stratégie face à un litige potentiel ou avéré, n'hésitez pas à contacter le cabinet Bayān.

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