Transactions sous pression : éviter la requalification et le "deal de fatigue".

Par le cabinet Bayān, intervenant en Contentieux.

Sous la pression d'un contentieux long et coûteux, les parties signent "pour en finir". Cette transaction de fatigue, mal construite, se rouvre souvent et coûte deux fois. Les juges requalifient les renonciations générales creuses, les concessions déséquilibrées ou les exécutions défaillantes. Une check-list protège contre ces écueils et transforme la transaction en véritable clôture.

I. Concessions réelles et équilibrées

Identifier ce que chaque partie abandonne effectivement

Une transaction n'est valable que si chaque partie consent des concessions réciproques. La jurisprudence sanctionne régulièrement les transactions déséquilibrées où une partie renonce à tout sans contrepartie réelle.

Les concessions doivent être identifiées précisément. Le demandeur renonce à une partie de ses prétentions chiffrées, abandonne certains chefs de demande, accepte des délais de paiement. Le défendeur paie une somme supérieure à ce qu'il proposait initialement, renonce à certaines exceptions ou moyens de défense, accepte des modalités d'exécution contraignantes.

La proportionnalité des concessions doit être apparente. Un déséquilibre manifeste expose la transaction à une action en nullité ou à une requalification judiciaire. Cette proportionnalité s'apprécie au regard de la solidité respective des positions, de l'aléa judiciaire, des coûts et délais du contentieux évité.

Proscrire les renonciations générales creuses

Les clauses de renonciation générale ("les parties renoncent à toute action l'une contre l'autre") sont régulièrement censurées par les juges comme trop vagues. Les renonciations doivent être spécifiques et porter sur des droits identifiés.

Les renonciations efficaces précisent : les faits visés (par exemple "au titre des relations commerciales entre les parties de 2020 à 2024"), les fondements juridiques abandonnés (responsabilité contractuelle, délictuelle, garanties), les montants ou demandes spécifiques auxquels il est renoncé, les exceptions éventuelles (par exemple maintien des actions en cas de dol ou fraude découverts ultérieurement).

Cette précision évite les interprétations divergentes et renforce la sécurité juridique de la transaction. Elle démontre également que les parties ont réellement pesé leurs renonciations plutôt que de signer un texte standard sans réflexion.

II. Périmètre clair et exclusivités

Lister précisément les litiges couverts

Une transaction peut couvrir un litige spécifique ou plusieurs litiges connexes. Le périmètre doit être défini sans ambiguïté pour éviter qu'un litige ultérieur ne soit considéré comme couvert ou au contraire exclu.

La description précise inclut : les parties au litige (y compris les sociétés du groupe concernées), les faits générateurs (période, nature des événements), les procédures en cours (juridiction, numéro RG, stade de la procédure), les demandes formulées (principal, intérêts, frais). Cette exhaustivité évite les zones grises sources de nouveaux contentieux.

Les litiges connexes ou futurs doivent être traités explicitement. Soit la transaction les couvre expressément, soit elle les exclut clairement. L'ambiguïté sur ce point génère fréquemment de nouvelles procédures pour déterminer si la transaction s'applique.

Prévoir ce qui n'est pas transigé

La clarification de ce qui reste en dehors de la transaction est tout aussi importante. Certaines créances ou droits sont expressément préservés : créances sur des tiers non parties à la transaction, droits découlant de contrats en cours d'exécution, garanties spécifiques maintenues.

Cette délimitation négative évite les interprétations extensives. Elle permet également aux parties de préserver leurs droits sur des aspects qu'elles ne souhaitent pas régler dans cette transaction, soit parce que le différend n'est pas mûr, soit parce qu'il implique d'autres parties.

III. Exécution surveillée

Calendrier et jalons

Une transaction mal exécutée perd sa valeur. Le calendrier d'exécution doit être précis et contraignant. Chaque obligation fait l'objet d'une échéance : paiement du principal (date, modalités), paiements échelonnés le cas échéant (échéancier détaillé), restitution de documents ou d'actifs, accomplissement de formalités administratives.

Les jalons intermédiaires permettent de vérifier la bonne exécution : confirmation de réception de paiement, attestation d'accomplissement de formalités, constat de restitution. Ces jalons, documentés, constituent la preuve de l'exécution progressive.

Le non-respect du calendrier déclenche des conséquences prédéfinies : mise en demeure avec délai de régularisation, pénalités de retard, possibilité de résolution de la transaction. Cette gradation évite la résolution immédiate pour un retard mineur tout en créant une incitation forte au respect des échéances.

Preuve du fait générateur

Certaines obligations transactionnelles sont conditionnées à la survenance d'un événement : obtention d'une autorisation administrative, réalisation d'une condition suspensive, constatation d'un fait. La preuve de la survenance ou non-survenance de cet événement doit être organisée.

Le mécanisme de preuve précise : qui doit prouver quoi (charge de la preuve), par quels moyens (documents, attestations, constats), dans quel délai, avec quelle procédure de contestation. Cette organisation évite les blocages où chaque partie conteste la réalisation de la condition.

Modalités de paiement sécurisées

Le paiement constitue souvent le cœur de la transaction. Ses modalités doivent être sécurisées pour protéger le créancier. Le séquestre d'une partie ou de la totalité de la somme entre les mains d'un tiers neutre (avocat, notaire, banque) jusqu'à réalisation de certaines conditions offre une sécurité maximale.

Les garanties bancaires, délivrées par un établissement de premier rang, protègent contre le risque de défaut de paiement. Ces garanties, à première demande ou sur justification, permettent d'obtenir le paiement même en cas de défaillance du débiteur.

Le nantissement d'actifs (titres, créances, biens) constitue une alternative lorsque les garanties bancaires ne sont pas disponibles. Ce nantissement, régulièrement constitué et publié, donne au créancier un droit de préférence en cas de défaillance.

IV. Clauses de repli

Mécanisme en cas d'inexécution partielle

L'inexécution partielle de la transaction soulève une question délicate : la transaction subsiste-t-elle pour la partie exécutée ? Peut-elle être résolue entièrement ? Le mécanisme contractuel doit trancher cette question.

Plusieurs options sont possibles. La résolution totale remet les parties dans l'état antérieur, le contentieux reprend comme si la transaction n'avait jamais existé. Cette solution radicale se justifie lorsque la transaction forme un tout indivisible. L'exécution partielle maintient la transaction pour les obligations déjà exécutées, seules les obligations inexécutées pouvant faire l'objet d'une action en exécution forcée. Cette solution préserve les acquis. L'exécution forcée des obligations inexécutées avec pénalités permet de maintenir la transaction tout en sanctionnant l'inexécution.

Le choix entre ces options dépend de la nature de la transaction et de l'équilibre des intérêts. Il doit être explicité contractuellement pour éviter un nouveau contentieux sur les conséquences de l'inexécution.

Médiation/expert pour trancher vite

Les différends d'interprétation ou d'exécution de la transaction doivent pouvoir être résolus rapidement sans relancer un contentieux judiciaire long. La médiation express, menée par un médiateur désigné à l'avance ou choisi rapidement, dispose d'un délai court (15 à 30 jours) pour faciliter un accord.

L'expert indépendant tranche les questions techniques ou factuelles : une obligation a-t-elle été exécutée conformément ? Un événement s'est-il produit ? Le montant d'un ajustement est-il correct ? Cet expert, accepté par les parties, rend un avis ou une décision dans un délai de 30 à 45 jours.

Le caractère contraignant de l'avis ou de la décision doit être prévu clairement. Soit il s'agit d'un simple avis éclairant les parties, soit d'une décision définitive s'imposant à elles. Cette dernière option, plus sécurisante, évite qu'un désaccord persistant ne relance le contentieux.

Compétence juridictionnelle et exécution

En cas d'échec des modes alternatifs de règlement, la compétence juridictionnelle doit être définie. Quelle juridiction sera compétente pour constater l'inexécution, prononcer la résolution ou ordonner l'exécution forcée ? Cette clause attributive de juridiction évite les conflits de compétence et accélère le traitement.

L'exécution de la transaction ou du jugement constatant son inexécution nécessite parfois des mesures d'exécution forcée. La transaction peut prévoir l'engagement du débiteur à ne pas s'opposer à ces mesures, la désignation anticipée d'un huissier, la possibilité de mesures conservatoires en cas de risque d'insolvabilité.

V. Clauses complémentaires protectrices

Confidentialité et non-dénigrement

La confidentialité de la transaction préserve la réputation des parties et évite que la connaissance de ses termes ne crée un précédent gênant. Les parties s'engagent à ne pas divulguer l'existence, les termes ou les montants de la transaction, sauf exceptions prévues (obligations légales, conseils tenus au secret, communication aux actionnaires).

Le non-dénigrement interdit les propos négatifs sur l'autre partie, ses dirigeants, ses produits ou services. Cette clause préserve la possibilité de relations commerciales futures et évite que la transaction ne soit suivie d'une guerre de communication.

Les sanctions en cas de violation doivent être dissuasives : clause pénale proportionnée, possibilité d'obtenir une interdiction en référé, dommages et intérêts complémentaires. L'effectivité de ces sanctions conditionne le respect des engagements.

Non-sollicitation

Dans les transactions impliquant des relations commerciales ou d'affaires, la non-sollicitation protège contre le débauchage de salariés, clients ou fournisseurs. Cette clause, limitée dans le temps (12 à 24 mois) et dans son périmètre (personnes ou entités spécifiquement identifiées), complète les renonciations principales.

Elle permet de stabiliser la situation post-transaction en évitant que l'une des parties ne cherche immédiatement à affaiblir l'autre par des actions indirectes. Son caractère proportionné conditionne sa validité et son efficacité.

Conclusion

Une transaction utile clôt réellement le différend, protège les intérêts essentiels de chaque partie et s'exécute sans rouvrir de contentieux. Les ingrédients du succès : concessions réelles et équilibrées identifiées précisément, périmètre clair distinguant ce qui est transigé et ce qui ne l'est pas, exécution surveillée avec calendrier, preuves et paiements sécurisés, clauses de repli organisant le traitement des difficultés d'exécution, protections complémentaires par confidentialité et non-sollicitation.

Les entreprises qui investissent dans la qualité contractuelle de leurs transactions, plutôt que de signer rapidement "pour en finir", économisent des années de contentieux ultérieurs et préservent leur capacité de développement. La transaction n'est pas un échec mais une solution lorsqu'elle est bien construite.

Pour structurer vos transactions contentieuses ou sortir d'un "deal de fatigue", n'hésitez pas à contacter le cabinet Bayān.

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